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Fin d'exposition, retour à la maison

Je commence à écrire dans mon appartement encombré, à Rennes. Hier était le dernier jour de mon exposition aux Cordeliers. Mon père est venu m'aider, une aide précieuse pour décrocher, ranger tant bien que mal, emballer tableaux, cadres et gravures, retirer les chaînes d'accroche et même, passer le balai. Sans compter que j'avais surestimé la capacité de ma petite Clio. Sans sa voiture en plus, je n'aurais jamais pu ramener tout d'un seul coup.


Mais mon papa génial n'est pas le seul qui m'ait donné un coup de main. Cette exposition annuelle dans le collège-lycée des Cordeliers a de spécial que nous sommes une douzaine d'exposants, les mêmes ou presque chaque été. Nous passons deux mois dans le même espace à accueillir ou attendre les visiteurs et éventuels clients. Le gros des accrochages s'organisant autour d'un patio vitré, nous en faisons notre bocal, notre bulle, notre QG d'où surveiller nos salles tout en socialisant. Je dis, socialiser, car il se peut que l'on bavarde, que l'on fasse la sieste (surtout moi) sur les transats amenés par un artiste ou un autre pour l'été, que l'on se croise ou que l'on devise, ou qu'on lise en silence pour se reposer de la station de garde dans nos salles d'exposition. Nous y mangeons aussi, et c'est comme un rituel ; Sébastien vient me chercher, Tom et Alain partent acheter leur pitance au Monoprix non loin, je réchauffe mon assiette au micro-ondes prêté par mes parents et nous nous installons sur les chaises et tables bancales du patio. En vérité ce n'est pas le mobilier qui est bancal ; c'est cette cour de béton, pleine de trous, où les fleurs du grand Albisia au centre s'amoncellent et pourrissent au fil de l'été. Cet Albisia, arbre splendide et solitaire, est notre compagnon, notre mascotte. Cette année Alain l'a baptisé "Pomponnette", inspiré par ses fleurs délicates et parfumées (mais Alain n'en sait rien : il n'a pas d'odorat) qui forment comme des pompons roses, fleurs de fils fragiles riantes contre l'azur du ciel.


La bande d'artistes que nous sommes est liée par l'attente, le temps de l'été. Ce sont mes collègues, mes compagnons pour la saison, vite devenus des amis. Tributaires de ventes imprévisibles, nous sommes solidaires et heureux chaque fois que l'un d'entre nous réalise une belle transaction, même s'il est parfois amer d'être témoin des succès de nos voisins lorsque nous accusons un creux pénible. Chacun est vraiment spécial. Tous m'attendrissent et me plaisent, à leur façon. Après trois étés à nous côtoyer, je peux dire avec sincérité que je les aime du fond du cœur. Nous nous aidons mutuellement mais j'ai un sentiment de dette à leur égard cette fois, car leur générosité était telle que j'ai peur de ne pas leur avoir rendu autant service en retour. Pire, je leur ai demandé de l'aide bien souvent. Jean-Louis, Tom, ou Alain, a presque chaque jour ouvert ma salle et mes lumières car j'arrivais toujours plus tard. Il est arrivé quelquefois que l'un ou l'autre (surtout mon voisin le plus direct, Jean-Louis) me donne à mon arrivée l'argent d'une petite vente effectuée pour moi en mon absence. Deux ou trois fois cette année, j'ai fais l'école buissonnière et suis restée chez moi à Rennes, par besoin de souffler, de mettre des affaires en ordre. Ils auraient pu ne pas ouvrir ma salle mais ont veillé sur mes travaux et réalisé des ventes pour moi. Si j'ai rendu une fois la pareille à Tom et éteint les lampes de Jean-Louis quand il partait plus tôt le dimanche (à cause du bus), j'ai été plus absente qu'aucun d'entre eux. Alain m'a fait goûté du pain d'épices, du saucisson, a partagé pâté en croûte et crème caramel avec moi, sans compter les petits gâteaux coupe-faim. En cas de besoin peu ordinaire, Sébastien s'avère pêtre une véritéble Mary Poppins : rallonge, ampoule halogène, gros clous, chargeur de téléphone, désinfectant pour petits bobos, sel de table – je me rends compte à quel point je l'ai sollicité. Hier encore, il me rend service : c'est à lui que j'ai confié les clefs, le passe et le reste de l'argent pour la location de la salle, à remettre à l'économat, ainsi que ma plus grande toile. Elle ne passe que dans son camion. Pour l'amener, j'avais dû la défaire de son châssis.

De ces services rendus de bon cœur, je me sens redevable. Reconnaissante aussi pour l'affection, l'écoute, les belles conversations échangées. Car ils sont philosophes, mes peintres ; vieux sages ou théoriciens, parlant de leurs souvenirs ou donnant leurs avis, toujours là pour accorder crédit à mes petits tourments ou mes vagues pensées.

Aujourd'hui je suis chez moi pour y rester, l'exposition est terminée. En un rien de temps, les salles se sont vidées, les tableaux magnifiques qui furent notre décor pour l'été décrochés, remballés, chargés, partis. Et mes amis artistes, après la promesse de nous voir bientôt et une embrassade, se sont comme moi envolés. La saison est finie et je suis soulagée, j'ai hâte de ranger et de reprendre en main mon travail, ma routine. La parenthèse de vie (statique et monotone, mais si remplie d'amitié) vécue depuis début juillet a imprégné cette fois encore un peu d'humanité, de gratitude et de douceur en moi. Le souvenir de ces longues journées parfois mornes à attendre, traînant les pieds ensemble est empreint de bienveillance, dans la bonne entente de ceux qui vivent plus ou moins la même chose en même temps et n'ont rien à faire d'autre qu'essayer de rire ensemble. Quand je pense à eux, je n'ai que de la tendresse et le souhait qu'ils aillent toujours bien.



C'est vrai qu'on se sent forts lorsqu'on s'entraide un peu, c'est vrai que j'ai de la chance d'avoir un super papa, des amis qui savent être présents et sincères, et filent avec plaisir un



coup de main ou un casse-croûte à leur comparse parfois un peu lunaire.

Merci encore, les copains.


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