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La forêt

cecileluherneart

Je voulais peindre une forêt.

Pour une fois, il ne s’agissait pas de me laisser aller à ordonner l’informe ; je voulais faire vibrer de grands arbres, j’avais envie de peindre cette chose concrète : une forêt.

Petite, j’allais y cueillir des bolets, construire de fragiles cabanes, inventer des histoires de fées et d’héroïnes sauvages. Je grimpais dans les branches des arbres, je leur parlais un peu. J’étais un écureuil. Puis j’ai appris à en reconnaître certains, par leurs feuilles ou leurs troncs. On m’a dit les légendes bretonnes, Arthur et Merlin, les korrigans et les druides. Le murmure des forêts me semblait à la fois limpide et mystérieux, du fond des âges mais s’adressant à moi, fille-écureuil. Plus tard, j’ai appris le poème de Baudelaire : Correspondances. Les arbres en trait d’union entre le terrestre et le métaphysique et les joyeuses synesthésies de cette nature enveloppante sont encore aujourd’hui ce qui fait de ces vers ma référence évidente pour parler de forêt idéale et mystique.

Un grand format pour de grands arbres

Un peu éloignée de la mer, me voici donc en désir de peindre des arbres, une forêt. Je pars à l’huile, pour des couleurs vibrantes et plus de profondeur. Je veux ma forêt profonde. Je commence par des teintes réalistes, mais cela me semble ennuyeux ; d’un coup de brosse radical, voilà les troncs bleus. Des racines à la cime, je veux un dégradé, une progression vers le céleste. Que l’ancrage solide et noueux où les choses organiques se défont n’ait pas les mêmes couleurs que les hautes branches traversées de lumière. Mes troncs sont longs, droits, je les multiplie vers le fond en fondant les couleurs. Je ne veux pas chercher de modèle pour m’inspirer, ni photos ni même un œil dehors. C’est une idée de forêt que je veux représenter : une forêt de songe, de légendes, une forêt magique et comme irréelle. Les couleurs chaudes, jaunes, orangés, mauves et vert anis viennent percer depuis le haut du tableau la moite froideur bleutée de cette forêt serrée. La lumière forme un médaillon au centre de la futaie. Elle paraît à travers le feuillage comme par de grands vitraux, fractionnée, en cascade.

Aléas techniques et reconsidérations

Or ma peinture ne séchait pas : j’avais utilisé un substitut de solvant qui, moins odorant, était aussi totalement inadapté. Ce fut très long pour terminer cette grande toile. Le moindre geste malheureux sur une peinture collante ou partiellement séchée venait mettre à mal les efforts précédents.

J’ai mis tant de temps, de retouches, de patience sur cette grande œuvre, qu’elle s’en est trouvée densifiée par mes efforts, ma concentration, mon acharnement. Ma forêt devenait profonde.

Pourtant ces longs arbres bleus m’ont vite paru trop à l’étroit dans leurs limites cadrées. La verticalité stricte de leurs troncs m’ennuyait. Il fallait encore creuser, ouvrir au regard des perspectives plus poétiques. J’ai fait des maquettes en papier, des collages, des plans. J’ai dessiné enfin au dos de la toile le motif géométrique que je voulais, toutes les parties bien symétriques, et puis j’ai découpé.

Découpe, mélange, peinture, couture

Je voulais mêler ces formes, les intervertir, les inverser. Je voulais briser les verticales. Or la lumière blonde qui s’écoulait au centre était trop belle, je n’ai pas voulu déconstruire mon temple. J’ai repeint morceau par morceau les bouts d’arbres, en changeant de teinte ou en décalant quelques lignes. Il a fallut que cela sèche, puis j’ai entrepris de recoudre tout l’ensemble. La marge nécessaire pour le passage de l’aiguille et mes petites altérations ont suffit pour qu’une fois réassemblée, la toile présente des arbres subtilement discontinus et décalés. Telle une vision téléscopique ou à travers un prisme, un kaléidoscope, la forêt semble à présent exister dans de multiples dimensions. La magie y est entrée.

Tendu sur un châssis sur mesure et aujourd’hui bien sec et vernis, ce patchwork pictural est peint sur une toile très lisse, d’allure fragile. Seule épaisseur et seul relief : ces coutures qui réintroduisent la matérialité du support dans une image en trompe-l’œil, ultime rappel de l’illusionnisme de la couleur, du trait. Cette forêt peinte absorbe les regards jusqu’aux tréfonds sacrés de ses profondeurs taillées en cristal, vers le joyau de son mystère. Illusoire, idéale, mystique et terrestre, poétique surtout : elle est une forêt de contes, où il fait bon se perdre.


Tableau de forêt, peint à l'huile sur toile découpée et recousue, pour un effet "diamant". Forêt profonde, mystique, mystérieuse, magique, où le regard se perd.
La forêt, 145 x 100 cm, huile sur toile cousue

 
 
 

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