Me voilà dans le box encore vide de mon groupe, Point Art. Autour de moi, j'entends des bruits de coups de marteau, un vague bourdonnement de voix et des échos de déballage. Mon tableau est posé derrière moi, il me semble petit par rapport à tous ces immenses formats. Ce n'est pourtant pas de peindre en grand qui rendra le travail intéressant - je me garde bien de parler d'esthétique, quoique le contre-argument de la subjectivité sensible ne résiste pas à la vulgarité et à la maladresse. Les fesses bien posées sur la moquette fuschia encore plastifiée, j'attends l'organisateur de mon groupe en feuilletant l'imposant catalogue du Salon, offert à mon arrivée. Je n'y suis pas, car le Grand Palais réclamait des frais supplémentaires et j'ai déjà été bien saignée pour accrocher cette toile. Je constate donc la diversité des travaux du catalogue et l'écart remarquable entre les bouses consternantes de mauvais goût et les petits chefs-d'oeuvres, avec entre les deux des travaux aux thèmes improbables ou à la facture grossière. Je souligne que ces exemples ont payé leur publication dans le catalogue ; ils ne sont pas forcément représentatifs de ce que le salon a à offrir. Parfois, même, la surenchère d'efforts cherche à compenser (avec un léger parfum de désespoir) un manque de talent ou d'expérience. Certaines fois, cela s'avère payant, car je sais que beaucoup de croûtes se vendent et trouvent leur public. Il n'empêche que si beaucoup d'artistes à succès sont des escrocs et des producteurs systématiques plus que des créatifs fébriles, tous ont en commun de présenter des oeuvres sans failles. Tout dépend du marché que l'on vise, évidemment. Si la souveraineté de la critique institutionnelle bridait autrefois les avant-gardes et les outsider de l'art, je trouve qu'aujourd'hui elle devrait prévaloir sur un ancrage commercial pour sacrer ou descendre les oeuvres qui prétendent à un statut de travail professionnel.
J'attends mes comparses inconnus, sans trouver encore la force physique de lever mon derrière et de vagabonder. Je suis pourtant curieuse d'assister à toute cette mise en place, mais le brunch pris juste avant mon départ avec mon amie Marine pèse encore comme il peut dans mon ventre exténué. Je sens pratiquement mes boyaux travailler laborieusement et toute once d'énergie se focaliser sur la pénible absorption du porc confit, avec écrasé de patates, et du chocolat chaud trop sucré arrosant le tout. Encore deux trois lignes et je file m'aérer.
Ce premier jour n'a pas démarré sous de plaisants auspices, pour être honnête. Que quelqu'un m'ait injustement "signalée" ou qu'une faille de sécurité ait conduit au quiproquo, facebook s'est soudainement acharné à bloquer mes liens vers ce site, mon site d'artiste, ma vitrine et mon semblant de présence en tant qu'artiste pro sur la toile. Instagram s'est mis de la partie en bloquant mes fonctionnalités tant que le lien vers mon site n'était pas supprimé, ce que je ne ferais pas ! Faute de canal dédié pour contester cet injuste boycott, j'ai ecrit dans les commentaires à l'intention de facebook une demande de recours et de rectification. En attendant, paria des réseaux sociaux à la veille d'exposer pour la première fois à Paris, je mets ce détail agaçant dans un coin de ma tête (un tiroir même) et je fais bonne figure. L'accueil sympathique mais néanmoins confus à l'entrée du salon ne m'a pas vraiment reconfortée, mais je ne me décourage pas. Je crois que cette profusion artistique commence même à m'enthousiasmer. Je sens une envie de plus en plus pressante de partir en vadrouille dans les box en chantier. Le mien n'est pas particulièrement bien placé et tout me semble labyrinthique, mais l'espace est tel que mon tableau sera de toute façon bien visible pour les visiteurs en errance. En attendant, je me lève enfin : il est temps de secouer mes tripes en souffrance pour une artistique balade digestive.
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