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Un sanglier dans le métro

cecileluherneart

Parfois lorsque je pars quelque part, le trajet a des allures de film. Les temps d'attente se gorgent de réalité, je ne sais pas comment mieux le dire ; des moments existant dans leur contingence la plus nue et auxquels l'on assiste dans la même passive réceptivité que devant un film. Totalement disponibles. Et donc, aptes aux rencontres - même les plus improbables.


Conversation toute simple

Une dame est assise sous l'abri-bus. Je la salue d'un "Bonjour!", elle m'indique la place à ses côtés, et ainsi commence une discussion cordiale, le temps des six minutes avant l'arrivée du bus. Je lui raconte que je vais jouer les nounous chez ma sœur, à St Malo, elle s'extasie sur les bébés, me parle de la mer, des appartements du quartier, du froid humide... Nous nous souhaitons une bonne journée en nous séparant dans le bus. Une bonne journée, certainement, c'est un bon début en tout cas.


D'autres humains

Dans le métro où le silence est de rigueur, je croise le regard de certains qui, comme moi, n'ont pas l'attention prise par leur téléphone ou par un livre.

Le métro est si rapide que je ne prends pas la peine de sortir le miens. La femme en face a un air maladif qui donne peine, malgré ses tennis impeccables et un manteau de belle laine ; l'homme noir à ses côtés balaye discrètement la rame d'un oeil intelligent. Je jette un œil agacé à la minette qui sans vergogne monopolise deux places avec son sac, puis me concentre sur le jeune type barbu qui s'est installé en bout de rame, au milieu.

Les métros de Rennes n'ont pas de conducteur. Les deux extrémités des rames, courtes comme des chenilles trapues, se terminent par de grandes fenêtres ; le regard peut plonger dans l'abîme souterrain à mesure que le wagon avale les voies. Cet homme s'est donc placé au milieu de la fenêtre, il regarde l'obscur tunnel droit devant. Il s'est même collé à la vitre, comme pour s'immerger complètement, oublier le reste des voyageurs et même le train tout entier ; être lui-même ce poids en translation, l'Alice dans le gouffre sans fin.

Gros ver luisant dans la nuit du tunnel

Je me prends à mon tour à regarder cette fausse nuit qui défile dans le renouvellement de son vertige. Une rame arrive en dévorant le noir en sens inverse et pour une bref instant, la collision semble possible. Ce vers luisant électrique emporte en un éclair les silhouettes figées qu'il transporte. Nous pour eux, nous sommes pareils. Gros chêne, Jules Ferry, Sainte Anne ; les gens montent à une station, davantage en descendent aux suivantes. Les places se libèrent, la précieuse au sac à main s'en va, mais je suis à deux arrêts de la gare, je reste debout les yeux tournés vers la fenêtre. Mes pensées virevoltent tout en observant distraitement mes compagnons de rame. J'attends qu'un autre métro nous croise et je guette les entrées et sorties de stations, quand la lumière grignote en cercles la noirceur monotone du tunnel. J'ai d'ailleurs l'attention qui vacille, distraite par les gens autour qui peut-être se demandent quel intérêt je trouve à fixer le noir, lorsque je distingue une lueur plus avant sur ma droite dans le tunnel. Nous n'arrivons pas encore à la station ; qu'est-ce que c'est donc ? Je pense à un technicien qui serait en train de faire une réparation. Cela réveille mon attention : je guette la niche, le renfoncement où sûrement un inconnu travaille dangereusement.

Intrusion de vie sauvage

Presqu'au niveau de ces flashs, je réalise que le mur est plat, il n'y a personne. Mais cette lumière au mur ? Un clignotement, un mouvement ; la rame s'approche. Je vois alors distinctement deux sangliers qui trottent. Une projection animée, réaliste, de deux sangliers en marche - le temps de les reconnaître et le métro est passé, nous les avons dépassés.

Je reste avec mon étonnement et ce délicieux sentiment d'absurdité propre au comique de situation dont je suis friande. Personne autour de moi n'a l'air d'avoir remarqué cette incongruité presque confidentielle, une curiosité visible à peine quelques secondes par des usagers de ce métro. Bien sûr, avec quelques recherches, le mystère serait vite éclairci et je pense qu'il s'agit d'une intervention artistique à faible visibilité, qui tire en partie sa force de cet étonnant lieu de monstration justement, entrant probablement en résonnance avec la sémantique du métro. C'est probablement brillant, même. Et quand bien même on ne se soucierait pas du propos, l'étonnement éprouvé lorsque par chance on remarque cette projection tient de l'expérience esthétique (réussie), de toute façon.


Je n'ai pas eu l'occasion de revoir cette curieuse projection dans le métro rennais, ni d'ailleurs de scruter le tunnel en d'autres endroits pour tenter d'en découvrir d'autres. Mais à mon prochain trajet, il est probable que je me collerais moi aussi à la vitre de la rame, bien attentive à toute incongruité. Lorsqu'il s'agit de sanglier, de toute façon, mieux vaut ouvrir l'oeil.


P.S. Pour les curieux, il s'agit de "Bestiaire" (2022) de Charles de Meaux. D'autres œuvres sont à admirer sur la ligne : https://www.tourisme-rennes.com/decouvrir-rennes/culture/oeuvres-metro-ligneb/


Bonne chasse !

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