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Un tout premier Noël (2/2)

Eh oui, un bébé.

(Pas le miens bien sûr, hein, ça se saurait !)

L'une de nous quatre a cette année sauté une étape de plus dans la vie d'adulte et est devenue maman. C'est d'entre nous la plus douée pour l'épanouissement en général, j'aurais mis toutes mes billes de son côté pour élargir la première notre arbre généalogique. Elle et son jules formaient déjà dans mon entourage l'exemple le plus encourageant d'un équilibre de couple heureux possible, et fun. Depuis longtemps ma sœur m'émerveille par sa capacité à profiter de la vie dans toutes ses étapes supposées, et j'avais hâte, pour tout dire, qu'elle fasse de ma maman une grand-mère éperdue, désespérant de ne pouvoir moi-même lui faire ce plaisir qui est aussi, somme toute, une nouvelle étape de vie en soi, pour nos parents.

Nous avons suivi la grossesse de ma sœur avec ce mélange inévitable d'inquiétude, de fascination et d'impatience, (moi en tout cas certainement) mêlé dans ce cas d'un peu d'effarement car si vous connaissiez ma sœur, vous sauriez qu'elle ne s'est pas vraiment contentée de faire des siestes et de manger des fraises. Stage de voile sous la tempête, festivals d'électo, concerts divers, trajet au boulot à vélo ("le seul hic c'est que ça me fait un peu contracter dans la côte") et natation quotidienne en mer jusqu'à deux semaines avant terme. En novembre. En Bretagne.

Oui, ma sœur est une guerrière, toujours de bonne humeur et motivée, les rares temps calmes desquels j'ai été témoin (en-dehors des divers rendez-vous maternité) étant voués à pianoter des embryons de jazz ou à repeindre au pinceau les futurs meubles de bébé.

Pour une maman pareille, il faut un papa à la hauteur, et tout va bien de ce côté : qui, quand sa conjointe ne peut dormir à cause d'un embryon remuant, la rendort en lui massant le crâne au lieu d'aller pioncer ailleurs pour être en forme au travail ? Je pense que voilà un homme qui aurait bien aimé être un peu enceinte lui-même. En tout cas, dans ce cadre parfait, je m'attendais à un neveu qui ne serait pas vraiment stressé dans la vie, avec un faible pour le jazz et l'électro aussi, et qui aurait certainement la bougeotte.

Pas stressé, c'est sûr, et pas pressé non plus. Il s'est fait désirer une semaine de plus, le coquin. Jolie surprise, cela l'a fait naître le jour même de ma fête. Je vous assure que j'en suis ravie : enfin quelqu'un de qui je n'oublierais pas la date d'anniversaire.


Première rencontre à j+3

Un nouveau-né, c'est quelque chose. Je n'en ai pas vu souvent, pas à trois jours du moins. Si je me fiais à mes photos retrouvées dans mon journal de bébé, à trois jours on ressemble à une mandragore rougeaude et hurlante, à un gnome hirsute et boursoufflé, bref à un humonculus si fragile, petit et bizarre que l'on peine à reconnaître même un bébé. Mettez peut-être ça sur le compte de sa grasse matinée de sept jours dans le bidon de ma sœur, mais mon neveu n'avait rien d'un gnome, à trois jours. Je l'ai vu à l'hôpital, dans leur chambre-cocon, où bavoirs et bodys se salissaient à un rythme inattendus pour les pauvres nouveaux parents qui, épuisés mais béats, apprenaient à chérir et à prendre soin de leur tout premier petit bout d'homme.

Moi j'aime les bébés. Alors comment ne pas aimer cet humain-là, si petit mais si parfait déjà? De longs doigts s'agitant, aux ongles minuscules, un visage régulier et ouvert, serein, la bouche petite et expressive, un duvet bien implanté sur le crâne et déjà presque une tête de petit garçon ; une merveille de bébé, cet enfant.


Un bébé, c'est fascinant

De loin, mais pas trop, nous restions attentifs aux nouvelles du trio familial, qui rentré chez eux s'est organisé au calme leur nouvelle petite vie. Nous étions à l'affût de la moindre photo, nous empêchant des visites trop fréquentes ; mais, comme l'avait si joliment formulé la copine de l'un de mes frères, cette année ce qui était sûr, c'est que nous aurions "un bébé pour Noël" ! J'avais bien hâte (comme nous tous) de passer quelques jours avec notre nouvelle curiosité.

Du reste à l'heure où j'écris ces lignes, il a déjà un peu changé, plus interagissant et plus tonique ; mais quand le trio est arrivé chez mes parents, il me semblait encore si fragile et si petit, comme lové dans sa propre douceur. Ne croyez pas, amis profanes en la matière, qu'un nourrisson soit quelque chose d'ennuyeux. Qu'il dorme, reste coi dans vos bras, babille ou même qu'il pleure (et surtout lorsqu'il pleure), la vie en marche à l'intérieur laisse entrevoir les indices de sa formidable entreprise de développement par d'innombrables micro-mouvements, expressions, mimiques. Que se passe-t-il dans ce crâne rond si doux et bombé, qui semble presqu'encore tendre ? Des milliards de connexions se construisent, le centre des perceptions est bombardé, le jeune cerveau se débat dans l'interprétation d'informations perpétuellement nouvelles. Je regarde mon neveu qui me fixe de ses grands yeux aux cils si fins, essayant de lui communiquer tout l'amour que je peux (base de la confiance et de la sécurité psychique), et j'imagine le vertigineux travail physiologique en oeuvre derrière ces mirettes. Même lorsqu'il est calme, un bébé n'est jamais inactif, jamais au repos. Cela n'est peut-être pas évident ni très visible, mais je le sais. Toutes ses réactions en deviennent palpitantes.

Même sans les petits bruits, sans interpréter les pleurs ou chercher à comprendre ce qui se joue - même lorsqu'il dort à poings fermés, un bébé reste passionnant. Il est somme toute quand même assez rare d'avoir dans les bras la version minuscule d'un être humain. Les ongles de mon neveu sont gros comme des têtes d'épingles. Ses sourcils forment un duvet blond bien ordonné, ses oreilles ourlées semblent de porcelaine. Sa bouche surtout est un ouvrage délicat, avec une peau d'une finesse miraculeuse. Bref sans plus développer, vous pouvez imaginer sans peine l'état de contemplation ravie dans lequel moi et mes proches étions avec bébé à la maison.

Vie de famille élargie

Pendant deux à trois jours, les cellules particulières composant notre famille proche furent réunies sous le même toit. Je nous vois comme des systèmes propres : mon frère et sa copine, mon autre frère avec son chat, mes parents qui sont l'ancre, le socle ; moi qui dors dans le lit simple de la chambre-débarras au fond (et j'aime ce nid de fortune d'où je vois les étoiles à travers le vélux), ma sœur, son conjoint et leur fils qui bénéficient d'un aménagement inhabituel et nécessaire - et puis cette année, mon beau-frère, dans la petite chambre en bas. Nous nous sommes remarquablement accordés aux caractéristiques, contraintes et nécessités distinctes des uns et des autres, cette année. Je crois que le fait d'avoir en la personne de mon neveu un point d'intérêt, de focalisation et de curiosité contribua largement à l'harmonie de notre brève cohabitation.

Si j'ai insisté dans le premier texte sur les repas et combien leur préparation, exécution, déroulement et post-réalisation comptaient dans l'activité et la charge mentale familiale, selon ma mère c'est à l'apéritif que nous passons le moment le plus convivial. Enfin tout le monde s'assoit ; nous trinquons et la discussion commence vraiment. En cercle proche autour de la table basse largement garnie, c'est le moment de prendre de vraies nouvelles et de parler vraiment de nos projets, de notre actualité. C'est aussi à ce moment précis de la soirée, ce vingt-quatre décembre, que j'ai ressenti l'émotion qui motiva l'écriture de ce texte.

Une maman, c'est bouleversant

J'étais assise à gauche du fauteuil où ma sœur allaitait bébé.


[Parenthèse que je pense utile : franchement, l'allaitement aujourd'hui, on ne voit rien. Mais alors, rien. Seulement l'enfant couché dans les bras, la tête tournée. Un foulard ou un linge posé en haut de sa tête ou tombant depuis l'épaule de la maman achève de voiler l'éventuel bout de peau que l'on pourrait apercevoir dans la fente d'un T-shirt fait de telle sorte, que je n'ai même pas compris son ingénieux système. In-vi-sible.

En ajout à la parenthèse, personnellement je ne fustigerai jamais une maman sortant un bout de sein pour nourrir son bébé, où qu'elle soit. D'ailleurs pour ma part chacun devrait pouvoir assumer son propre degré de pudeur, pour autant que le corps soit désexualisé. Cependant je félicite le progrès vestimentaire permettant à ma sœur de ne pas dévoiler en famille un attribut qui caractérise sa condition de femme adulte, avec le type d'intimité que cela suppose, chose qu'entre parents proches nous nous évertuons notoirement et délibérément à oblitérer. Je n'en dirais pas plus sur l'allaitement, un acte naturel et si étrange pourtant, si inédit dans la vie d'une femme et si déconnecté du reste ; contraignant aussi, ce qui fit dire à ma frangine qu'elle réalisait ainsi l'injustice extraordinaire entre hommes et femmes dans l'organisation biologique pour la perpétuation de l'espèce.]


Nous parlions donc en dégustant les verrines de mon frère, je ne sais plus de quoi. Je regardais ma sœur relever son bébé (hop le t-shirt, ni vu ni connu) en bavardant. Elle le manipulait presque avec désinvolture, le faisant passer à plat sur ses genoux puis le relevant prestement tout en soutenant son petit crâne afin de le tenir debout face à elle, pour le coller de suite contre son épaule et son cou. Elle s'assura de la bonne descente de son repas en lui prodiguant de ses bras de légers rebonds (elle m'avait déjà expliqué tout cela). Je la voyais donc effectuer avec adresse de simples gestes maternels, prendre soin d'un bébé avec assurance, de la manière en somme la plus naturelle qui soit - et j'en fus brusquement bouleversée. J'eus envie de la prendre dans mes bras, cette jeune maman qui était ma sœur; je lui ai mis la main sur l'épaule, tâchant de comprendre moi-même la raison de mon trouble soudain. J'ai dit en m'adressant aux autres : "Oh C, tout d'un coup cela me fait si bizarre, vous ne trouvez pas cela bizarre, que notre petite C soit maman ?" Il y eut des sourires je pense mais j'essayai de préciser mon ressenti. "C'est-à-dire, oui nous avons tous grandi, vieilli même, nous avons nos vies d'adultes et d'autres rapports entre nous, mais je crois que je nous vois toujours pareils, les "enfants", quoi... Et puis toi tu as franchi d'autres étapes et maintenant c'est toi la maman, qui nous produis cette petite merveille..." Me tournant vers mon beau-frère, je lui demandais s'il n'avait pas la même impression d'étrangeté en voyant son frère papa. Il m'a répondu, gentiment, souriant : "Non je me suis habitué, tu t'y habitueras, tu verras !". J'ai pensé qu'il ne m'avait pas tout à fait comprise. J'ai dit que bien sûr, et j'étais déjà habituée d'une certaine manière ; mais ce pragmatisme ne répondit pas au vertige que j'éprouvais, une forme de révélation vitale, existentielle, à l'impact profondément affectif.


Des miracles tout le temps

Je songeais à un passage du livre d'Umberto Eco "Le pendule de Foucault", où le héros s'absorbe dans les recherches sur des chercheurs mystiques en alchimie, ésotérique et cultes rosicruciens, lorsque sa compagne lui révèle qu'elle est enceinte et que les mystiques n'ont rien compris, qu'ils se fourvoient en expériences quand le secret est sous leurs yeux : la transmutation ultime, le miracle de la matière fertile se réalisent dans le ventre des femmes, pas dans les alambics. Je pense à cette façon que nous avons de produire de nouveaux êtres vivants à partir de nous-mêmes. Je pense à ma sœur, à ce bébé qui est un petit bout d'elle, qui est entièrement lui-même pourtant ; je pense à la vie toute jeune qui a débarqué dans notre salon, le début d'un autre cycle qui nous remplacera. J'en suis émue et tout d'un coup, j'ai envie d'en faire plein, des bébés. Je dis à ma sœur : "Pour Noël l'an prochain, il faudrait qu'il ait un cousin ou une cousine !" Elle répond : "Si tu t'y mets maintenant Cécile, c'est possible, fonce !".

Il est donc fortement improbable que cela se produise. Mais je pense qu'avec un peu plus de temps, ce serait bien possible, deux bébés pour Noël.


Je berce bébé au calme derrière le sapin de Noël décoré
C'est dans ce fauteuil à bascule que ma mère m'endormait, bébé. J'y berce aujourd'hui mon neveu.









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